xxvj DISCOURS PRELIMINAIRE nombreux, car je fuis bien éloigné d’étendre à un Corps refpeélable & très-é-clairé une accufation qui fe borne à quelques-uns de fes membres. On avoit permis aux Poètes de chanter dans leurs Ouvrages les divinités du Pagamfme , parce qu’on étoit perfuadé avec raifon que les noms de ces divinités ne pouvoient plus être qu’un jeu dont on n’avoit rien à craindre. Si d’un côté, la religion des Anciens, qui animoit tout, ouvrait un vafte champ à l’imagination des beaux Ef-prits; de l’autre, les principes en étoient trop abf'urdes, pour qu’on appréhendât de voir reiïiifciter Jupiter & Pluton par quelque fe&e de Novateurs. Mais l’on craignoit, ou l’on paroiffoit craindre, les coups qu’une raifon aveugle pou-voit porter au Chriilianifme : comment ne voyoit-on pas qu’il n’avoit point à redouter une attaque aufli foible? Envoyé du ciel aux hommes, la vénération il mile & fi ancienne que les peuples lui témoignoient, avoit été garantie pour toû-iours par les promeflès de Dieu même. D’ailleurs, quelque ablurde qu’une religion puiife être (reproche que l’impiété feule peut faire à la nôtre), ce ne font jamais les Philofophes qui la détruiient: lors même qu’ils enfeignent la vérité, ils fe contentent de la montrer, fans forcer perfonne à la reconnaître ; un tel pouvoir n’appartient qu’à l’Etre tout-puiiïànt : ce font les hommes infpirés qui éclairent le peuple, & les enthoufiailes qui l’égarent. Le frein qu’on eil obligé de mettre à la licence de ces dernieres ne doit point nuire à cette liberté ii né-ceifaire à la vraie Philofophie, & dont la religion peut tirer les plus grands a-vantages. Si le Chriilianifme ajoûte à la Philofophie les lumières qui lui manquent, s’il n’appartient qu’à la Grâce de foûmettre les incrédules, c eil à la Philofophie qu’il eil réfervé de les réduire au iilence ; & pour aflurer le triomphe de la Foi, les Théologiens dont nous parlons n’avoient qu’à faire ufage des armes qu’on auroit voulu employer contre elle. Mais parmi ces mêmes hommes, quelques-uns avoient un intérêt beaucoup plus réel de s’oppofer à l’avancement de la Philofophie. Fauifement perfuadés que la croyance des peuples eft d’autant plus ferme, qu’on l’exerce fur plus d’objets dif-férens, ils ne fe contentoient pas d’exiger pour nos Myfleres la foûmiflion qu’ils méritent, ils cherchoient à ériger en dogmes leurs opinions particulières ; & c’é-toit ces opinions mêmes, bien plus que les dogmes, qu’ils vouloient mettre en sûreté. Par-là ils auroient porté à la religion le coup le plus terrible, fi elle eût été l’ouvrage des hommes; car il étoit à craindre que leurs opinions étant une fois reconnues pour fauifes, le peuple qui ne difcerne rien, ne traitât de la même maniéré les vérités avec lefquelles on avoit voulu les confondre. D’autres Théologiens de .meilleure foi, mais aufli dangereux, fe joignoient à ces premiers par d’autres motifs. Quoique la religion foit uniquement deilinee à régler nos moeurs & notre foi, ils la croyoient faite pour nous éclairer auili fur le fyitème du monde, c’eil-à-dire, fur ces matières que le Tout-puiflant a exprellément abandonnées à nos difputes. Ils ne faifoient pas réflexion que les livres iacrés & les Ouvrages des Peres, faits pour montrer au peuple comme aux Philofophes ce qu’il faut pratiquer & croire, ne dévoient point fur les queflions indifférentes parler un autre langage que le peuple. Cependant le despotifme .théologique ou le préjugé l’emporta. Un tribunal devenu puilfant dans le Midi de l’Europe, dans les Indes, dans le nouveau Monde, mais que la Foi n’ordonne point de croire, ni la charité d’approuver, & dont la France n’a pû s’accoû-tumer encore à prononcer le nom fans effroi, condamna un célébré Aitronome, pour avoir foûtenu le mouvement de la Terre, & le déclara hérétique, à-peu-près comme le pape Zacharie avoit condamné quelques iiecles auparavant un E-vêque, pour n’avoir pas penfé comme S. Augullin fur les Antipodes, & pour a-voir deviné leur exiflence iix cens ans avant que Chriflophe Colomb les découvrît . C’efl ainii que l’abus de l’autorité fpirituelle réunie à la temporelle forçoit la raifon au filence ; & peu s’en fallut qu’on ne défendît au genre humain de penfer ( i ). Pendant que des adverfaires peu inilruits ou mal intentionnés faifoient ouvertement la guerre à la Philofophie, elle fe réfugioit, pour ainfi dire, dans les Ouvrages de quelques grands hommes, qui, fans avoir l’ambition dangereufe d’arracher le bandeau des yeux de leurs contemporains, préparoient de loin dans l’ombre & le filence la lumière dont le monde devoit être éclairé peu-à-peu & par degrés infenfibles. A la ( l ) Voyez la note de l'article Inquilition.