DISCOURS PRELIMINAIRE machine fi compliquée, a été traité par nos Médecins algébriftes comme le feroit la machine la plus fimple ou la plus facile à décompoier. C’eft une choie finguliere de voir ces Auteurs réfoudre d’un trait de plume des problèmes d’Hydraulique & de Statique capables d’arrêter toute leur vie les plus grands Géomètres. Pour nous, plus fages ou plus timides, contentons-nous d’envifager la plûpart de ces calculs & de ces l'uppofitions vagues comme des jeux d’efprit auxquels la Nature n’eit pas o-bligée de fe foûmettre ; & concluons que la feule vraie maniéré dephilofopner en Phyfique, confifte ou dans l’application de l’analyfe mathématique aux expériences, ou dans l’obfervation feule éclairée par l’efprit de méthode, aidée quelquefois par des conje&ures lorfqu’elles peuvent fournir des vûes, mais féverement dégagée de toute hypothèfe arbitraire. Arrêtons-nous un moment ici, & jetions les yeux fur l’efpace que nous venons de parcourir. Nous y remarquerons deux limites, où fe trouvent, pour ainfi dire, concentrées prefque toutes les connoiflances certaines accordées à nos lumières naturelles. L’une de ces limites, celle d’où nous fommes partis, eit l’idée de nous-mêmes, qui conduit à celle de l’Etre tout-puiflant & de nos principaux devoirs. L’autre eft cette partie des Mathématiques qui a pour objet les propriétés générales des corps, de l’étendue & de la grandeur. Entre ces deux termes eitun intervalle im-menfe, où l’Intelligence fupréme femble avoir voulu fe jouer de la curiofité humaine , tant par les nuages qu’elle y a répandus fans nombre, que par quelques traits de lumière qui femblent s’échapper de diftance en diftance pour nous attirer. On pour-roit comparer l’Univers à certains ouvrages d’une obfcurité fublime, dont les Auteurs en s’abaiflant quelquefois à la portée de celui qui les lit, cherchent à lui per-fuader qu’il entend tout à-peu-près. Heureux donc fi nous nous engageons dans ce labyrinthe, de ne point quitter la véritable route; autrement les éclairs deitinés à nous y conduire, ne ferviroient fouvent qu’à nous en écarter davantage. Il s’en faut bien d’ailleurs que le petit nombre de connoiflances certaines fur lesquelles nous pouvons compter, & qui font, fi on peut s’exprimer de la forte, reléguées aux deux extrémités de l’elpace dont nous parlons, foit fuffifant pour fatisr faire à tous nos befoins. La nature de l’homme, dont l’étude eft fi nécefl'aire & fi recommandée par Socrate, eft un myftere impénétrable à l’homme même quand il n’eft éclairé que par la raifon feuie; & les plus grands génies, à force de réflexions fur une matière fi importante, ne parviennent que trop fouvent à en favoir un peu moins que le refte des hommes. On peut en dire autant de nôtre exiftence prélente & future, de l’eflence de l’Etre auquel nous la devons, & du genre de culte qu’il exige de nous. Rien ne nous eft donc plus nécefl'aire qu’une Religion révélée qui nous inftruife fur tant de divers objets - Deftinée à fervir de fupplément à la connoiflance naturel? le, elle nous montre une partie de ce qui nous étoit caché ; mais elle fe borne à ce qu’il nous eft abfolument nécefl'aire de connoître ; le refte eft fermé pour nous, & apparemment le fera toûjours. Quelques vérités à croire, un petit nombre de préceptes à pratiquer, voilà à quoi la Religion révélée fe réduit: néanmoins, à la faveur des lumières qu’elle a communiquées au monde , le Peuple même eft plus ferme & plus décidé fur un grand nombre de queftions intéreflantes, que ne l’ont été les feétes des Philofophes. A l’égard des Sciences mathématiques qui conftituent la fécondé des limites dont nous avons parlé, leur nature & leur nombre ne doivent point nous en impo-fer. C’eft à la fimplicité de leur objet qu’elles font principalement redevables de leur certitude, Il faut même avouer que comme toutes les parties de Mathématiques n’ont pas un objet également fimple, auffi la certitude proprement dite, celle qui eft fondée fm* des principes néceiTairement vrais & évidens par eux-mêmes, n’appartient ni également ni de la même maniéré à toutes ces parties. Pluiieurs d’entre elles, appuyées fur des principes phyfiques, c’elt-à-dire, fur des vérités d’expérience ou fur de fimples hypothèfes, n’ont, pour ainfi dire, qu’une certitude d’expérience ou même de pure fuppofition. Il n’y a, pour parler exactement, que celles qui traitent du calcul des grandeurs & des propriétés générales de l’étendue, c’pft-à-dire, J’Algèbre, la Géométrie & la Méchanique, qu’on puilî’e regarder comme marquées au iceau de l’évidence. Encore y a-t-il dans la lumière que ces Sciences prélentent à nôtre efprit, une efpece de gradation, & pour ainfi aire de nuance à obferver. Plus l’objet qu’elles embraflent eft étendu & confidéré d’une maniéré générale & abftraite, plus auffi leurs principes font exempts de nuages; ’ c’eft par cette raifon que la Géométrie eft plus fimple que la Méchanique, & l’une & l’autre moins fimples que l’Algebre.. Ce paradoxe n’en fera point un pour ceux qui