xviij DISCOURS PRELIMINAIRE créer, commence par raifonner fur ce qu’il voit & ce qu’il connoît. Un autre motif qui doit déterminer à placer la railon avant l’imagination , c’efl que dans cette derniere faculté de l’ame , les deux autres fe trouvent réunies jufqu’à un certain point, & que la raifon s’y joint à la mémoire. L’efprit ne crée & n’imagine des objets qu’en tant qu’ils font femblables à ceux qu’il a connus par des idées direéles & par des fenfations; plus il s’éloigne de ces objets, plus les êtres qu’il forme font bifarres & peu agréables . Ainfi dans l’imitation de la Nature, l’invention même eit aiîujettie à certaines réglés ; & ce font ces réglés qui forment principalement la partie philofophique des Beaux-arts , jufqu’à préfent aifez imparfaite, parce qu’elle ne peut être l’ouvrage que du génie , & que le génie aime mieux créer que difcucer. Enfin, fi on examine les progrès de la raifon dans fes opérations fucceiîives, on fe convaincra encore qu’elle doit précéder l’imagination dans l’ordre de nos facultés, puifque la raifon, par les dernieres opérations qu’elle fait fur les objets, conduit en quelque forte à l’imagination ; car fes opérations ne confiilent qu’à créer, pour ainlî dire, des êtres généraux, qui féparés de leur fujet par abilra-ftion, ne font plus du reflort immédiat de nos fenk- Aufli la Métaphyfique & la Géométrie font de toutes les Sciences qui appartiennent à la raifon, celles où l’imagination a le plus de part. J’en demande pardon à nos beaux efprits détracteurs de la Géométrie; ils ne fe croyent pas fans doute fi près d’elle, & il n’y a peut-etre que la Métaphyfique qui les en fépare. L’imagination dans un Géomètre qui crée, n’agit pas moins que dans un Poète qui invente. Il eil vrai qu’ ils opèrent différemment fur leur objet; le premier le dépouille & l’analyfe, le fécond le compole & l’embellit. Il eil encore vrai que cette maniéré différente d opérer n appartient qu’a différentes fortes d’êfprits; & c’efl pour cela que les talens du grand Géomètre & du grand Poète ne fe trouveront peut-être jamais eniemble. Mais foit qu’ils s’excluent ou ne s’excluent pas l’un de l’autre, ils ne font nullement en droit de fe méprifer réciproquement. De tous les grands hommes de 1 antiquité, Archimede eft peut-être celui qui mérite le plus d’être placé à côté d îriomere. J’eipere qu’on pardonnera cette digreflion à un Géomètre qui aune ion art, mais qu’on n’acculera point d’en être admirateur outré ; & je reviens à mon fujet. La diffribution générale des êtres en fpirituels. & en matériels fournit la fous-divilion des trois branches générales. L’Hifloire & la Philofophie s’occupent également de ces deux efpeces d’êtres, & l’imagination ne travaille que d’après les Grès purement materiels; nouvelle raifon pour placer la derniere dans l’ordre de nos facultés . A la tête des êtres fpirituels eil Dieu, qui doit tenir le pre-m'er rang par fa nature, & par le befoin que nous avons de le connoître. Au-deifous de cet Etre luprême font les efprits créés, dont la révélation nous apprend 1 exiflence. Enfuite vient l’homme, qui compofé de deux principes, tient ?ar Ion ame aux efprits, & par fon corps au monde matériel; & enfin ce vaite Jnivers que nous appelions le Monde corporel ou la Nature . Nous ignorons pourquoi l’Auteur célébré qui nous fert dé guide dans cette diilribution, a placé la nature avant 1 homme dans ion fyileme ; il femble au contraire que tout engage à placer l’homme fur le pailàge qui fépare Dieu & les efprits d’avec les corps. L’Hiiloire entant qu’elle fe rapporte à Dieu, renferme ou la révélation ou la tradition, & fe divife fous ces deux points de vûe en hiitoire facrée & en hi-i foire ecclefiaftique. L hiiloire de l’homme a pour objet, ou fes aélions ou fes connoiflànces; & elle eft par conféquent civile ou littéraire, c’eil-à-dire, fe partage entre les grandes nations & les grands génies, entre les Rois & les Gens de Lettres, entre les Conquérans & les Philofophes. Enfin l’hiiloire de la Nature eil celle des produélions innombrables qu’on y obferve, & forme une quantité de branches prefque égale au nombre de ces diverfes produélions . Parmi ces différentes branches, doit être placée avec diilinaion l’hiiloire des Arts, qui n eil autre choie que 1 hilloire des ufages que les hommes ont faits des produélions de la nature, pour fatisfaire à leurs befoins ou à leur curiofité. Tels font les objets principaux de la mémoire. Venons préfentement à la faculté qui réfléchit & qui raiionne. Les êtres tant fpirituels que matériels fur lef-q^elle s exerce, ayant quelques propriétés générales, comme l’exiitence , la iPodibuite, la duree; 1 examen de ces propriétés forme d’abord cette branche de la I mloiophie, dont tous les autres empruntent en partie leurs principes: on la nomme 1 Ontologie ou Science de lEtre, ou Métaphyfique générale. Nous de-rendons de-la aux différent etres particuliers ; & les diviiions Que fournit la Scien-