jv DISCOURS PRELIMINAIRE des foibles , eft au contraire l’origine de l’oppreiîion de ces derniers. Mais plus l’oppreffion eft violente plus ils la Souffrent impatiemment, parce qu’ils Tentent que rien de raifonnable n’a dû les y aiïujettir. De-là la notion de l’injuite, & par conséquent du bien & du mal moral, dont tant de Philofophes ont cherché le principe, & que le cri de la nature, qui retentit dans tout homme, fait entendre chez les Peuples même les plus Sauvages. De-là auiîi cette loi naturelle que nous trouvons au-dedans de nous, Source des premières lois que les hommes ont dû former: fans le fecours même de ces lois elle eft quelquefois aiTez forte, Sinon pour anéantir l’oppreffion, au moins pour la contenir dans certaines bornes. C’eit ainfi que le mal que nous éprouvons par les vices de nos Semblables, produit en nous la connoif-fance réfléchie des vertus opposées à ces vices; connoiifance précieufe, dont une union & une égalité parfaites nous auroient peut-être privés. Par l’idée acquife du julle & de l’injuile, & conféquemment de la nature morale des actions, nous Sommes naturellement amenés à examiner quel eil en nous le principe qui agit, ou, ce qui cil la même chofe, la fubitance qui veut & qui conçoit. Il ne faut pas approfondir beaucoup la nature de notre corps & l’idée que nous en avons, pour reconnoître qu’il ne fauroit être cette fubilance, puifque les propriétés que nous obfervons dans la matière, n’ont rien de commun avec la faculté de vouloir & de penfer : d’où il réfulte que cet être appellé Nous eil formé de deux principes de différente nature, tellement unis, qu’il régné entre les mouvemens de l’un & les affections de l’autre, une correspondance que nous ne Saurions ni fufpendre ni altérer, & qui les tient dans un affujettiilèment réciproque. Cet efclavage fi indépendant de nous, joint aux réflexions que nous Sommes forcés de faire fur la nature des deux principes & fur leur imperfection, nous éleve à la contemplation d’une Intelligence toute puiffante à qui nous devons ce que nous fommes, & qui exige par conséquent notre culte: Son exiitence, pour être reconnue, n’auroit be-foin que de notre Sentiment intérieur, quand même le témoignage univerfel des autres hommes, & celui de la Nature entière, ne s’y joindroient pas. Il eft donc évident que les notions purement intellectuelles du vice & de la vertu, le principe & la néceilité des lois, la Spiritualité de l’ame, l’exiftence de Dieu & nos devoirs envers lui, en un mot les vérités dont nous avons le befoin le plus prompt & le plus indifpenfable, font le fruit des premières* idées refléchies que nos ienfations occaiionnent. Quelque intéreffmtes que foient ces premières vérités pour la plus noble Î>ortion de nous-mêmes, le corps auquel elle eil unie nous ramene bien-tôt à lui par a neceffité de pourvoir à des befoins qui fe multiplient fans ceffe. Sa confervation doit avoir pour objet, ou de prévenir les maux qui le menacent, ou de remédier à ceux dont il eil atteint. C’efl à quoi nous cherchons à Satisfaire par deux moyens ; favoir, par nos découvertes particulières, & par les recherches des autres hommes; recherches dont notre commerce avec eux nous met à portée de profiter. De-là ont dû naître d’abord l’Agriculture, la Médecine, enfin tous les Arts les plus absolument néceffaires. Ils font été en même tems & nos connoiffances primitives, & la Source de toutes les autres, même de celles qui en paroiffent très-éloignées par leur nature : c’eit ce qu’il faut développer plus en détail. Les premiers nommes, en s’aidant mutuellement de leurs lumières, c’efl-à-dire, de leurs efforts Séparés ou réunis, font parvenus, peut-être en affez peu de tems, à dé couvrir une partie des ufages auxquels ils pouvoient employer les corps . Avides de connoiffances utiles, ils ont dû écarter d’abord toute fpéculation oîiive, eonfidé-rer rapidement les uns après les autres les différens êtres que la nature leur préfen-toit, & les combiner, pour ainfi dire, matériellement, par leurs propriétés les plus frappantes & les plus palpables. A cette première combinaifon, il a dû en fuccéder une autre plus recherchée, mais toûjours relative à leurs befoins, & qui a principalement confiflé dans une étude plus approfondie de quelques propriétés moins fenfi-bles, dans l’altération & la décompolîtion des corps, & dans l’ufage qu’on en pouvoir tirer. Cependant, quelque chemin que les hommes dont nous parlons, & leurs fuccef-feurs, ayent été capables de faire, excités par un objet aufii intéreffant que celui de leur propre confervation ; l’expérience & l’obfervation de ce vafte Univers leur ont fait rencontrer bien-tôt des obitacles que leurs plus grands efforts n’ont pû franchir. L efprit, accoûtumé à la méditation, & avide d’en tirer quelque fruit, a dû trouver alors une efpece de refîource dans la découverte des propriétés des corps uniquement curieufes, decouverte qui ne connoît point de bornes. En effet, li un grand nombre de connoiffances agréables fuffifok pour confoler de la privation d’une vérité