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          Ville en paffant par deffus les murailles qui font les plus baffes, il y a encore de plus quantité' d’Egyptiens qui s’appliquent à dérober, & qui le font avec beaucoup de fubtihté.
            Generalement toutes lesmaifons qui cotnpo-fent la Ville ne paroiffent pas agréables au dehors, elles ont les fenêtres barrées, & 1 afpeet auffi trifte qu’il eft peu régulier. Elles font ordinairement à deux étages : celles du commun font bâties de terre & celles des Sàngiacs & des perfonnes de confideration font bâties de pierres de taille fort polies. Ces dernieres contiennent quantité de belles chambres, & principalement une grande falle qui leur fert de lieu d audience, où l’or & l’azur qui plaifent fort en ce Païs-Jàne font pas épargnez. Tout efl propre & bien ienu au dedans de ces Palais & quand on va rendre vifite à celui qui en efl le maître 1 on y voit une quantité de domeftiques fort bien vêtus. Le Corps de chaque maifon a deux étages de chambre , mais la fale qui efl toujours au milieu du bâtiment n’en a qu’un feul, & occupe depuis le bas jufqu’au couvert où l’on a coutume de rapporter un pied de terre pour arrêter la violence des rayons du Soleil. C’eft l’ufa-ge de l’Egypte qu’il refie à ce couvert une ouverture de cinq oufix pieds enquarré, qui donne dire&ement au milieu de la falle, on la ferme d’un rideau pendant le jour, mais on l’ouvre pendant la nuit, afin que la fraîcheur puiffe entrer par ce paffage, Cette ouverture aux maifons des riches a un petit lambris foutenu de piliers avec une baluflrade à l’entour, en d’autres il n’y a feulement que la baluflrade fans lambris, & les habitations des pauvres , fans avoir ni 1’ un ni l’autre, ont feulement l’ouverture . Il fe trouve beaucoup de jardins dans la ville, mais entre autres il y a de petits efpaces de terre que l’on a approfondis tout exprès pour y faire entrer l’eau du Nil au tems du débordement, ceci efl pour l’agrément & l’utilité des maifons, parce que ces petits Lacs bordés la plupart de • palmiers , outre qu’ils font agréables à la vue apportent beaucoup de fraicheur. On les appelle Bir-clues qui efl un nom que l’on donne en commun à tous les lieux marécageux dont l’eau ne s’écoule pas , à la différence des jardins où 1’ eau ne demeure que trois mois après lefquels on la fait fortir pour y femer diverfes chofes.
I LeSr.Lur * Le Château du Caire eft la demeure ordi-cas ni Voy. najrç Bacha & des principaux Officiers des I°-Llv- troupes. C’eft proprement une Citadelle extrêmement vafte qui a plus d’une demi-lieuë de tour. IJ y a dedans quatre Mofque'es à Minarets parmi lefquelles il y en a une très-belle & très-riche , dans laquelle efl Je tombeau d’un des Compagnons de Mahomet : il efl couvert d’étofes précieufes , fur lefquelles efl un Turban verd, & environné d’une baluflrade d’argent doré , a-vec un grand nombre de chandeliers de même métal, qui ont neuf ou dix pieds de hauteur, & plufieurs lampes d’or, qui éclairent nuit & jour, Cette Mofquée efl bâtie d’un très-beau marbre , pavée auffi de marbre blanc & noir parcompar-timens ; & il régné autour une Gallerie foute-nuë par des colomnes de marbre . Le Château du Caire efl rempli de maifons où il n habite que des Turcs, & tous ceux qui ont le privilège d y demeurer reçoivent la paye du Grand Seigneur. Il eft bâti fur un rocher qui domine toute la Ville , environné de murailles , flanquées de greffes tours, dans lefquelles il y a des appartemens ailes commodes pour y loger des Officiers. On a pratiqué dans les murailles plufieurs petits chemins couverts , d’où les Soldats peuvent tirer fans danger par des trous qu’on y a ménagez.
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L’Artillerie, qui efl rangée au-deffus, n’eft pas fort confiderable , les canons ne portant que trois ou quatre livres de balle . Si ce Château étoit bien fortifié & bien entretenu , il pourrait devenir une excellente Citadelle ; mais les Turcs font trop negligens , &. ne reparent prefque jamais ces fortes d’Edifices . Tout y tombe en ruine. Le lieu où loge le Bacha eft le mieux confervé, & ion Divan eft précédé d’une affez belle place , longue de 300. pas & d’environ ioo. pas de large. Il y a à une des extremitez du Château un retranchement occupé par une partie de laGarnifon. Ce font quatre ou cinq greffes tours affez bien bâties, qui forment une enceinte de cinq ou fix cens pas de circuit . Ce lieu commande le logement du Bacha; lors que la Porte lui envoyé l’ordre de quitter ion Gouvernement, on braque quelques canons contre fa maifon , qui la renverferoient en peu de tems, s’il vou-loit faire la moindre refiftance . On remarque en faifant le tour de ce Fort qu’il a été bâti piu-lieurs fois fur des fondemens qui paroiffent être du tems des Anciens Egyptiens; ce qu’on con-noitaifement par les greffes pierres fur lefquelles font celles qu’on y a mifes depuis, & qui font bien differentes en couleur & en durée . On voit même fur quelques-unes plufieurs caraftéres Hiéroglyphiques qui font de la première antiquité. Auffi y a-t-il des perfonnes qui font perfuadées que c’étoit autrefois le Palais des Pharaons à quoi ils font d’autant plus portez par une tradition ancienne qui veut que ce Puits merveilleux que l’on y voit encore ait été bâti par le Patriarche jofeph . On ne peut difeonvenir qu’il n’ait fallu un tems &des depenfes infinies pour le eonftruire . Sa profondeur eft comme partagée en deux parties ; on defeend du fommet juf-qu’à la moitié par un Efcalier qui régné autour du puits & qui eft taillé dans le Roc; c’eft par la qu’on fait defeendre les bœufs fur une plateforme , d’où ils élevent l’eau par le moyen d’ une roue & de longues cordes, où font attachez des pots de terre qui fe rempliffent & fe vuident à mefure que la roue tourne : l’eau fe tire en deux tems differens, parle moyen de deux roués pofées l’une fur l’autre ; la plus baffe verfe l’eau dans un premier refervoir d’où la fécondé l’en-leve & la porte jufqu’au haut du puits: la bouche du puits a iS. pieds de large fur 24. de long , & fa profondeur de 2y6. pieds.
   A l’égard 2 du Gouvernement du grand Caire le Bacha tant qu’il eft en charge a l’autorité fuprême & gouverne non feulement la Ville, mais encore tout le Roïaume d’une manière def-potique , c’eft-à-dire que fes volontés tiennent lieu de Loi ; il peut emprifonner , prendre les biens & faire mourir fans autre forme de procès que l’ordre qu’il en donne. Auffi voit-on tous les jours de grandes vexations , & d’extrêmes injuftices, mais d’ordinaire lesBachas n’en font pas beaucoup en un même tems, de crainte que la trop grande oppreffion n’oblige les Peuples à porter leurs plaintes à la Porte. Le courant delà Juftice eft adminiftré parle Cady, &les Turcs n’ufent gueres d’écritures dans leurs jugemens. Ils font venir d’abord les témoins, & fi c’eft pour des chofes civiles comme de l’argent prêté on envoyé des Chiaqux aux debiteurs qui les font payer, & fe font donner de furp'us trois pour cent pour leurs peines. Mais fi la fomme tarde trop à fe trouver, on met le debiteur en prifon jufqu’à ce qu’il s’acquitte & fi l’argent qu’on lui demande eft pour le Sultan il a la baftonnade auffi-tôt qu’il dit qu’il n’a pas de quoi fatisfaire. Pour les crimes capitaux le fupplice ordinaire aux gens du commun eft d’être empallé & le fupplice
                                 de la
i Le P.
Coppin Voy. d’Egypte, chap. îcvi.