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  fleur 3e Grenadier , dont les Rhodiens fe fer-voient ordinairemenr dans leurs teintures , par la même raifon que les Syriens avoient fait mettre anciennement dans leurs Monnoyes , la Coquille de ce riche petit poiffon , qu’on appelait Pourpre . L’opinion la plus commune &la plus vraifemblable attribue l’origine du nom de Rhodes , à la quantité de Rofes , dont cette ïfle étoit remplie , pendant prefque toute l’année . Hyginus Hillorien Grec , fur le témoignage de Polyzelus Rhodien , rapporte qu’ un certain Theffalien , fils de Triopas, oudeLa-pithas, félon Diodore de Sicile, ayant été jet-ré par la Tempête fur les Côtes de Rhodes, extermina heureufement ces animaux ^nuifibles ; que Phcrbas entr’autres en tua un d’une grandeur prodigieufe , qui dévoroit les Habitans .
  Le fçavant Bochard prétend que les Phéniciens donnèrent à cette Ifle le nom de Gefirath-Rod, c’eft-à-dire rifle des Serpens: Gefirath , félon cet Auteur, étant un terme communaux Phéniciens, aux Syriens, aux Arabes , & aux Chaldéens, qui fignifie une Ifle, &Rod en langage Phénicien, un Serpent ; fi bien qu’en joignant ces deux mots, on en forma celui de Ge-firath-Rod, d’oii les Grecs firent depuis celui de Rhodos, que cette Me a confervé jufqu au-jourd’ hui.
     Pour la fûreté des Habitans le Chapitre ordonna , que cinquante Chevaliers réfideroient dans le Château de Saint Pierre; qu’on en mettrait vingt-cinq dans l’Ifle de Lango, que quarante autres Chevaliers monteraient la Galère, qui étoit de garde en tout tems dans le Port de Rhodes : & le Grand-Maître de fon côté fit conftruire un Fort dans le Bourg d’ Archan-gel •
     La Reine Charlotte de Lufignan ne fe trouvant pas en fûreté dans Cyrène abandona l’Irte de Chypre, & fe retira dans celle de Rhodes , fous la Protection du Grand-Maître . La naif-fance de cette jeune Princeffe, fa Dignité Royale , fes malheurs & plus que cela encore cet empire naturel que donne la beauté , lui firent de zélez Partifans de la plûpart des Chevaliers, & on remarqua fur-tout, que foit pure généro-fité , foit inclination fecrete , le Commandeur û’Aubulfon s’attacha particuliérement a fes intérêts . L’ufurpateur de fon côté pour fe procurer l’appui de la République de Venife , épou-fa depuis Catherine Cornaro fous le titre fpé-cieux de fille de S. Marc . En conféquence de cette qualité, ces habiles Républiquains , pour fe faire un Droit fur cette Me , donnèrent â la jeune Cornaro, une Dot de cent mille Ducats, & la République s’ obligea par un Traité folé-mnel à protéger le nouveau Roi contre fes ennemis: ce qui défignoit les Chevaliers de Rhodes , qui avoient donné un azyle à la Reine Charlotte .                   r       i         r
      Mais l’Ufurpateur ne fut pas iong-tems tans
    éprouver , qu’il eft rare de trouver de la fidélité & de la bonne foi dans les Traitez , dont 1’ injuftice a fait la bafe & le fondement . Les Oncles de la Vénitienne , pour avoir part au Gouvernement de l’Etat , furent foupçonnezd’ avoir empoifonné le nouveau Roi . Ce qui eft de certain , c’ eft que la République recueillit feule le fruit de ces différentes usurpations.
      Les Vénitiens pour de légers intérêts de Commerce , firent une defcente dans l’Ifle de Rhodes, & y commirent plus de ravages &decruau-tez , que n’ avoient jamais fait les Barbares . Us y revinrent peu de tems après avec une Flotte de quarante-deux Galères , qui, bloquèrent le Port de Rhodes & menacèrent la V ille
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d’un Siège . Le fujet de cette entreprife venoit de ce que le Grand-Maître 1 par droit de re- * ï«** de prefailles 5 & pour procurer la liberté a Del-phin fon Ambaffadeur , & a fes Sujets , que le Sultan d Egypte avoir retenu contre le Droit des Gens , avoit fait arrêter de fon côté deux Galères Vénitiennes chargées de Marchandifes pour le compte de quelques Marchands Sarra-fins , & on avoit arrêté en même tems un grand nombre de Sujets du Soudan qui fe trouvèrent fur ces Galères. On mit à la chaîne ces Infidèles : leurs Marchandifes furent confifquées,
& à l’égard du Corps des Galères on permit aux Vénitiens de fe retirer , & de pourfuivre leur route ; tout cela etoit dansées règles ordinaires de la guerre , qui veut même que la robe de 1’ ennemi faffe confifquer la robe de l’ami. Mais la République que l’intérêt de fon Commerce avoit liée étroitement avec les Sarrafins, demanda hautement la main-levée des effets faifis .
La plûpart des jeunes Chevaliers , & fur-tout les Efpagnols , vouloient qu’on ne répondît a des propofitions fi injuftes , & fi impèrieufes qu’à coups de Canon , mais le Grand-Maître tut d’un avis contraire . Il avoit été averti que fi l’Ordre ne rendoit pas volontairement les pri-fonniers Sarrafins & leurs Marchandifes , le Commandant de la Flotte avoit des Ordres fe-crets de ravager toutes les Mes de la Religion , d’en enlever les Payfans & les Habitans de la Campagne , & de des livrer enfuite au Sultan, comme des otages pour les Sarrafins arrêtez à Rhodes . Je ne fuis pas en peine avec le Jecours de votre valeur , dit le Grand-Maître en plein Confeil , de défendre cette Place contre toutes les forces de la République ; mais je ne puis pas empêcher leurs Galères de furpren-dre nos Sujets de la Campagne, & je crois qu'il eft plus à propos de rendre quelques Sarrafins , que d'exp’ofer des familles entières h tomber dans les chaînes de ces Barbares , & peut-être dans le péril h force de tourmens de changer de Religion . Tout le Confeil fe rendit à un Sentiment fi plein de prudence : les Sarrafins furent remis à l’Amiral Vénitien , & la charité l’emporta fur le jufte relfentiment d’une fi grande inju-ftice .
    Mahomet, pour ne pas laiffer les Chevaliers en repos, mit en Mer trente Galeres chargées d’infanterie , & dont le Commandant eut ordre de faire des defeentes dans les endroits de l’Ifle le moins défendus , d’en enlever les Habitans , & d’y mettre tout à feu & a fang. Le ^ R Grand-Maître 2 averti de cet Armement , le ^""(¡„s” * rendit inutile par la fage conduite & la valeur des Chevaliers. Il y avoit alors dans cette Me plufieurs Châteaux , fitués de diftance en di-ftance , & qui en tems de guerre fervoient de retraite , aux Habitans de la Campagne . On comptoit parmi ces Places fortes les Châteaux de Lindo , de Jeracle , de Villeneuve, de Ca-tauda , d’Archangel , & de Tiranda. Les Payfans eurent ordre de s’ y retirer avec leuK be-ftiaux, & les Chevaliers partagez en différens Corps de Cavalerie , ayant laiffé débarquer les Turcs, tombèrent fur ceux qui s’étoient avancés dans le Pays, en tuerent un grand nombre , firent plufieurs prifonniers, & forcèrent les autres à chercher leur falut dans la fuite, oc a e
rembarquer .                            .. ,
    Le Grand-Maître 3 prévoyant que Maho- 3 Emeri d’ met tournerait infailliblement fes armes contre Aubuiîon. l’Iile de Rhodes , pour n’être pas furpris , fit remplir les Magafms de munitions de guerre & de bouche; & l’Ifle de Rhodes fe trouvant deftituée pour fa défenfe d’un nombre fuffifant
                                           de