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                                                                                        L’ITALIE CONFÉDÉRÉE
                « A midi et demi, les fuyards furent aperçus dans les environs : ils se cachaient, ha canonnade ne se faisait entendre qu’à de rares intervalles; ta fusillade était très-vive, à en juger par le bruit continuel des détonations affaiblies par la distance.
                « Vers trois heures, les coups de feu se rapprochèrent : un escadron de hussards se précipita en désordre sur la piazzn Nuova; il essaya de se reformer; deux ou trois chevaux se cabrèrent. Le désordre était au comble : l’une des bêtes, furieuse, les flancs déchirés parles éperons, se jeta tète basse dans la rue de Milan ; quelques autres suivirent : ce fut une débandade générale. Un quart d’heure ne s’était pas écoulé, que deux mille hommes, couverts de poussière, de sueur, de sang et noirs de poudre, débordaient par le faubourg de Varôse, venant de Borgo-Vico. On voulut les rallier: la voix des chefs était impuissante ; de nouveaux fuyards se jetèrent au milieu d’eux, et toute cette masse roulante se rua jusqu’à Camerlata.
                « A peine le torrent avait-il passé, laissant derrière lui ses blessés, des sacs, des armes, que la grosse cloche de la cathédrale jeta au vent ses notes lugubres ; puis, 1 une après l’autre, les églises retentirent d’un glas terrible qui répétait d’une voix sourde et lente :
                                     Armez-vous donc!
                                     Armez-vous donc !
                « Si tu avais vu, mon cher frère, cette ville muette éveillée comme en sursaut par cette voix si connue 1 On n’a pas idée d’un pareil prodige.
                « Les armes cachées sortaient comme par miracle des armoires secrètes ; les hommes jaillissaient du sol ; ils se répandaient par les rues, et, une heure après, dix mille paysans se jetaient au-devant de Garibaldi. Il a traversé la ville au galop; je n’ai pu l’apercevoir cette fois, mais j’ai admiré derrière lui ses hommes, ses démons noirs, leur lourde carabine sautant sur l’épaule : ils couraient avec une rapidité que je n’eusse guère attendue d’hommes si fatigués, après un combat de six' heures.
                « La lutte a recommencé à la tête du chemin de fer de Milan.
                « On n’a guère tiré de coups de fusil, et la besogne n’a pas été longue : les Autrichiens ont bien vite lâché pied. A six heures, le général rentrait solennellement avec cinq mille héros. Quel spectacle !
                « Les canons ennemis étaient jonches de fleurs ; les blessés, emportés dans nos maisons, étaient soignés comme nos propres^ enfants ; nous en avons un, ma belle-mère et moi : il est gâté, je te jure!
                « Je n’ai fait qu’entrevoir Garibaldi : il est de haute taille, large d é-paules, une tête de lion sur des épaules d’atlüète. Sa longue barbe noire, hérissée, inculte ; ses yeux brillants qui lancent l’éclair, son chapeau de