— 53 —
M. Pataille. J'ai déposé ce malin une contre-proposition. Je demande la
parole.
Messieurs, on vous propose de dire que le droit de propriété existera sans
dépôt ; nous sommes tous d'accord sur ce point.
Le premier paragraphe de la proposition que j'ai faite ce matin portait :
«Le droit de propriété de l'artiste sur son œuvre existe indépendamment de
tout dépôt.» Mais entre l'exercice et l'existence d'un droit, souvent il y a loin,
comme il y a loin de la coupe aux lèvres.
Eh bien! il faut entrer dans la pratique, et prenez garde qu'en déclarant
d'une manière absolue et générale que votre droit existera et pourra s'exercer,
ou, en d'autres termes, que vous pourrez faire des procès sans jamais être obligés
de rien déposer, ce sera là, je le crains, un droit qui vous nuira.
M. le Président parlait hier des négligences des artistes; elles sont connues:
c'est en effet, la plupart du temps, par des négligences, qu'ils perdent des
droits importants et qu'ils se voient frustrés de leur propriété; mais dès l'ins-
tant que nous sommes d'accord sur ce point que le dépôt n'est pas attributif,
mais seulement déclaratif du droit de propriété, qu'en un mot il ne peut être
exigé que comme pièce justificative, y a-t-il intérêt à le supprimer et à en af-
franchir aussi bien les éditeurs que l'artiste? Je ne le pense pas.
Vous venez de voter que le droit partira du jour où l'artiste aura publié son
œuvre; moi j'aurais préféré l'époque de son décès, parce que le décès est enre-
gistré à l'état civil et qu'il n'y a pas de pays où l'on n'arrive à prouver le jour où
un homme est mort; mais vous avez préféré pour point de départ la publication
de l'œuvre; ce faitsera le plus souvent incertain. Il faut donc venir en aide aux
négligents, et je vous soumets le vœu suivant:
Le droit de propriété de l'artiste existe indépendamment de tout dépôt.
Néanmoins, il serait utile d'établir dans chaque pays des registres sur lesquels les
auteurs ou leurs ayants cause seraient admis à faire enregistrer leurs œuvres avec les
noms des éditeurs et acquéreurs, s'il y en a.
Cette déclaration, Messieurs, serait purement facultative. Or, pour une
œuvre, quand vous ne la multipliez pas à l'infini, nul danger. Mais quand
vous entrez dans la voie delà reproduction par la gravure, la photographie,
parle moulage, vous vous exposez à un danger réel, si vous n'avez pas un
mode commun, facile, d'établir votre droit et son point de départ.
Dans les quatre cinquièmes des procès que j'ai eu à plaider, j'ai eu de
grandes difficultés à prouver l'antériorité. Cela ne s'applique pas évidemment
aux grandes œuvres qui émanent du pinceau d'hommes comme notre hono-
rable président; mais il faut faire la loi pour tous. Il y a des degrés dans les
arts, tellement qu'on est arrivé à dire qu'on ne devait pas protéger les petites
images d'Epinai autrement que par la propriété artistique. Ce sont, en effet,
les petits qui ont souvent le plus besoin de protection.
Si vous voulez arriver à pouvoir faire la preuve, il faut dire que les législa-
tions seront en droit d'exiger, avant toute poursuite, le dépôt d'un certain nombre
d'exemplaires, toutes les fois qu'il s'agira d'œuvres destinées à la reproduction.
Il y a là une utilité pratique que je vous recommande.
A