20 LES AVENTURES DE CHAPITRE XIV Fiammiferino surveille les combats. Je ne sais pas comment il avait réussi à comprendre les choses de la guerre beaucoup mieux que moi. Évidemment l'intelligence d'un Haji est bien prompte. Souvent je ne savais pas me rendre compte de ce qui se passait : je voyais des soldats courir, tirer des coups de fusil, retourner en arrière; je voyais des escadrons de cavalerie qui galopaient, j'entendais tonner les canons de tous côtés ; mais je n'aurais su dire comment allait la bataille, et c'était lui qui m'expliquait tout « Regarde là-bas, sur cette colline, vois-tu?... On attaque une position... Regarde à gauche!... Il y a ...___ un assaut... Ce sont deux mille hommes. Bravo ! En avant! » Et il s'enthousiasmait, s'agitait, courait regarder de ci, courait regarderde là, donnant des ordres avec sa voix qui ressemblait au grincement d'une aiguille perçant un morceau de liège; il criait des paroles d'encouragement, des reproches, des invectives, des éloges. 11 fallait l'entendre hurler : « Renforcez l'aile droite!... Apportez deux batteries de canons derrière cette colline!... En avant les réserves!... Bombardez ces tranchées!... » Il semblait, lui, le général en chef. Très souvent je me fiais entièrement à Fiammiferino pour mes informations. J'attachais mon chapeau, lui étant dessus, à une branche d'arbre, ou sur la cime d'une canne, et je m'étendais tranquillement à dormir près de mon cheval qui broutait l'herbe. Lorsque je me réveillais, je demandais à Fiammiferino : « Que s'est-il passé? — Vite! me disait-il. Allons envoyer un télégramme à ton journal. » Je le glissais dans le ruban du chapeau, la tète en dehors, je montais à cheval, et en avant, au galop, vers le bureau du télégraphe militaire le plus voisin! 11 n'avait pas réussi à comprendre exactement la nature des armes à feu : il appe- FIAMMIFERINO lait les coups de fusil « les petites foudres », les coups de canon « les grandes foudres ». Il croyait vraiment que les hommes avaient réussi à se lancer de la foudre. Je cherchais inutilement à lui expliquer ce que c'était que le fusil et le canon ; il finissait par me dire : « Ça va bien, ça va bien ; mais le fait est que ces machines et cette ainsi nommée poudre, ne sont autre chose que des fabriques de foudres de différentes grandeurs; et la preuve — ' en est qu'elles font l'éclair et le tonnerre. » Une autre de ses idées fixes était I " que le télégraphe n'était autre chose qu'un Haji. Pour lui, il s'agissait d'un Haji vivant dans un fil de cuivre qui portait les ambassades au loin ; il l'appelait justement : « Mon frère du fil ». J'essayai de lui expliquer : « Mais non, mon cher, cette fois c'est précisément de la foudre qui porte les ambassades. — Oui, me répondit-il, incrédule. Mais où est l'éclair? Où est le tonnerre? Et puis, permets-moi de te dire qu'en fait de haji, je m'y entends un peu mieux que toi. » Aussi les télégrammes qu'il me dictait (et que je devais ensuite modifier a son msu) commençaient comme cela : « Frère du fil, va dire aux amis d'Europe qu'aujourd hui, après quatre heures de petites et de grandes foudres, etc., etc. » En le voyant si passionné pour les combats, je lui dis un jour : f s • « Je m'aperçois, cher Fiam... ^ ' — Miferino ! — ... que tu aimes beaucoup la guerre. —Pas du tout! Te semble-t-ilà toi qu'on puisse aimer les carnages? — Mais tu ne penses à rien d'autre... — Je le crois bien, moi! Il y va de mon pays. Je voudrais être soldat pour combattre de toutes mesforces. Jetejure qu'ilne m'importerait guère de mourir. Pense-que l'avenir de la patrie, sa prospérité, sa grandeur dépendent de la victoire! Vive la guerre! — Bravo! lui répondis-je. Tu es un bon citoyen.