if CHAPITRE I Où l'dn assiste à la supplique inattendue d'une allumette de bois. xte dites à personne ce que je vais vous raconter. Les sots ne le croiraient pas, et les sots sont si nombreux que je passerais pour le plus grand menteur du monde. Je vous recommande donc le silence. Il y a quelque temps, je me trouvais au Japon, dans une ville appelée Takashima. 11 pleuvait à verse et, ne pouvant me promener à travers les rues ornées de lanternes et de banderolles, ni dans les jardins pleins de fleurs, je restais enfermé dans une chambrette, assis sur le pavé, parce que, au Japon, on ne se sert pas de sièges. Je m'ennuyais. Je bâillais comme un chien devant le feu. Pour tromper mon ennui, il me vint à l'idée de fouiller tous les coins de cette petite chambre, espérant découvrir quelque chose pour me divertir. Mais, après beaucoup de recherches, je ne trouvai qu'une boîte d'allumettes japonaises enfermée dans un tiroir. Faute de mieux, même de simples allumettes peuvent servir à passer le temps. En sachant bien les disposer, on peut former avec elles une quantité de dessins variés et intéressants. Dans la boite, cependant, il n'y avait que trois allumettes; et, avec trois allumettes, vous le comprenez, même un homme de génie ne peut composer qu'un triangle, qui est la ligure la plus modeste de la géométrie. Alors je résolus de fabriquer un petit homme. C'est un vieux jeu que j'avais appris beaucoup d'années auparavant, lorsque j'allais à l'école, que je portais les pantalons courts et avais les poches desdits pantalons pleines de billes de marbre, de plumes à écrire, de noyaux de pèche, de boutons, de ficelle et d'autres choses précieuses, parmi lesquelles de temps en temps quelques allumettes. Avec un peu de patience et un peu de fil j'attachais à une de celles-ci des bras et des jambes et 1a. transformais ainsi en un personnage maigre, maigre, qui me paraissait beau. Je me mis donc au travail et en un quart d'heure les trois allumettes japonaises avaient pris la forme du personnage maigre, maigre. Et je vous jure qu'il me paraissait encore beau. Il avait une attitude hardie avec les bras ouverts et les jambes en compas; une pose de spadassin, pourrait-on dire. Je lui donnai un air plus calme et mieux élevé, je l'assis sur sa boîte et commençai à lui tenir les discours de jadis : « Bonjour, Fiammiferino, comment vas-tu? » Vous vous étonnerez peut-être qu'un homme d'un certain âge se divertisse encore à de tels jeux. Sachez qu'un homme est toujours un peu enfant quand il est seul et s'ennuie. Si l'on pouvait fouiller à travers les papiers de tant d'illustres savants, de tant de célèbres écrivains, nous trouverions çà et là les mêmes dessins et les mêmes gribouillages que les garçons dessinent dans leurs cahiers, quand ils n'ont pas envie de faire leurs devoirs. Fiammiferino, naturellement, accueillit mes saluts avec une dignité silencieuse. Quand j'étais petit, que je parlais ,avec mes joujoux, j'imaginais même leurs réponses; de cette manière il m'était possible de maintenir avec eux des discussions longues et animées; mais maintenant ma fantaisie était passée. Après quelques instants le petit homme redevint à mes yeux une simple allumette et je pensai à l'employer d'une manière plus conforme à ses habitudes. Je mis à la bouche une cigarette et, étendant la main, je dis : « Cher Fiammiferino, maintenant je te brûle la tète et.... » La phrase resta interrompue. Le petit homme avait remué. Véritablement : il était tombé à genoux et avait fait un geste d'imploration. Surpris', je le regardais attentivement de chaque côté, cherchant l'explication du phénomène. J'avais construit beaucoup de petits hommes semblables à lui, maisilnem'étaitja-mais arrivé de les voir se mouvoir d'eux-mêmes. Je regardais si, par hasard, il n'y avait pas un fil invisible que j'aurais touché sans m'en apercevoir. Rien ; je ne trouvais rien. Mais le petit homme demeurait si immobile dans sa nouvelle position, que, subitement, je me rassurai. Je pensais que peut-être un léger ébranlement du pavé, ou un souffle d'air l'avait jeté bas de sa boîte. Il était si maigre, si léger! Je le remis assis et l'observai de près. Alors, après quelques instants, je vis nettement, distinctement, qu'il remuait. Pendant quelques minutes il eut de petit sursauts à peine visibles, puis il étendit ses petits bras et se mit debout, doucement, doucement. J'entendis une faible voix qui semblait venir de lui ; mais faible, oh! si faible, qu'en comparaison le cri-cri d'un grillon eût semblé un éclat de trombone.