6 LES AVENTURES DE CHAPITRE II Qui raconte les premières épreuves de Fiammiferino. •e m'inclinai jusqu'à le toucher presque avec l'oreille et, encore incertain, je lui demandai : « Est-ce toi qui parles? — Oui, me répondit la petite voix qui n'était pas plus forte que le grincement d'une aiguille pénétrant dans du liège. — Est-ce toi? redemandai-je. — Oui, j'ai eu si peur que tu ne me brûlasses!» Je demeurai stupide. Vous comprenez, n'est-ce pas, combien un tel événement était inattendu! Je ne savais même que lui dire. Puis, l'idée d'une allumette qui avait peur d'être brûlée me fit rire. « Ne ris pas, me dit-il, je suis un Haji. — Un Haji? m'exclamai-je surpris. — Oui, j'étais lTIaji d'un vieux saule.... » Ali! maintenant je comprenais; maintenant je m'expliquais Certains arbres, au Japon, sont habités par des génies, sortes de fées appelées Seulement, il n'y a plus de fées, et il y a encore des Haji, parce que le Japon est beaucoup plus jeune que nos pays. Haji avait-il quitté ses bois, ses lleurs et s'était-il mette, au risque d'être détruit en allumant la cigarette « Pourquoi es-tu là? lui demandai-je. si heureux, il y a deux cent cinquante ans, sur la mon-dans la province de Noto. Maintenant voici tout ce qui reste Regarde-moi. Et pense que j'avais des rameaux aunes; avec mes racines j'arrivais à boire dans la Tashira qui était à cinquante pas de moi... ment t'appelles-tu, pauvre Haji? demandai-je avec — Mikara. Mais toi, appelle-moi du nom que tu — Fiammiferino? — Oui, Fiammiferino. » Avec les misérables bouts de bois qui lui servaient de bras il me caressa le lobe de l'oreille, et me dit humblement : « Sois mon ami, veux-tu? — Certes! répondis-je, ému. — Tu ne me brûlera jamais? — Jamais! — Défends-moi. Je vivrai avec toi, je te servirai comme je pourrai. — Oui, Fiammiferino. Je te protégerai toujours. — J'étais puissant, respecté, vénéré dans le bois. J'avais une belle voix, je chantais quand soufilait le vent à travers mes Mais comment un réduit à une allu-d'un étranger? — Oh! Je vivais tagne Kamiyama, de mon beau saule! longs de dix fontaine de — Com -pitié. m'as donné. FIAMMIFERINO rameaux. Maintenant je suis comme cela ; mais je puis t'ètre utile, t'aider. Je sais beaucoup de choses, je vois loin, loin, j'ai l'expérience du monde; je peux te donner des conseils, te porter des informations, te raconter des vieilles histoires quand tu seras triste. Je te serai affectionné et fidèle. Attends que j'essaie de marcher. » D'un pas rigide et un peu vacillant, comme s'il cheminait sur des échasses, Fiammiferino fit le tour de la chambre, puis il vint à moi et grimpa sur mon genou. « C.a va bien? lui demandai-je. _ Rattache-moi plus solidement la jointure de la jambe gauche. Le nœud est lâche et la jambe tremble. » A l'aide de mes dents je serrai mieux le nœud et je déposai Fiammiferino sur le pavé. 11 s'essaya encore à marcher avec des mouvements toujours plus rapides et sûrs. « Merci, me dit-il au retour. Et maintenant, écoute-moi : tu me porteras toujours avec toi ; tu ne me laisseras jamais; tu ne parleras à personne de ma présence. — Ne crains rien. Je t'enfermerai dans ta petite boîte, ce sera ta maison. Ça te va-t-il? — Oui, quoique j'aie tant souffert là-dedans en attendant la mort. Si je ne t'avais trouvé.... — Merci, mon ami. — Et lorsque tu me renfermes, entoure-moi la tète d'ouate. En as-tu? —• Non, mais, attends. J'en tire un peu du rembourrage de la courte-pointe. Est-ce bien ainsi? — Oui, j'ai si peur de prendre feu, comprends-tu? Imagine quelle serait ta terreur si tu avais comme moi la tête recouverte d'une croûte de phosphore. — Ne m'en parle pas, je me le figure très bien : je tremble rien que d'y penser. — Tu feras donc attention au feu. Tu ne me mêleras jamais aux autres; je veux dire aux simples allumettes. Tu ne fumeras jamais en ma présence. — Non, non, je te le jure. — Maintenant, renferme-moi. J'ai besoin de me reposer un peu, l'émotion m'a fatigué. Bonne nuit! — Bonne nuit, Fiammiferino. » Je lui enveloppai la tète dans le brin de coton que j'arrachai de la courte-pointe de mon lit et je déposai mon ami dans sa petite boîte de bois, sur laquelle était imprimée l'image d'un dragon entouré ^de paroles chinoises signifiant : « Fabrique d'allumettes système suédois ».