18 LES AVENTURES DE CHAPITRE VIII Dans lequel on voit comment Fiammiferino partit pour la guerre sans le savoir. 'avais Fiammiferino depuis environ un mois, quand je reçus l'ordre d'aller à la guerre. Vous devez savoir qu'à cette époque une grande guerre avait éclaté entre le Japon et un autre empire. J'avais été envoyé là-bas justement pour voir la guerre et décrire ce que je voyais. En face des événements qui se précipitaient et qui mettaient deux grandes armées de front, je ne pouvais certes m'arrèter à raconter les aventures de mon petit ami sur le champ de bataille; c'est pour cela que je n'ai jamais parlé de Fiammiferino dans mes écrits. Les hommes sont si incrédules. Ea guerre avait lieu dans une région de la Chine appelée Mandchourie et, pour y aller, il était nécessaire de voyager en chemin de fer jusqu'à un port de mer, puis de naviguer sur un bateau jusqu'en Chine, et puis, à cheval ou à pied, de traverser montagnes et plaines pendant des centaines de kilomètres, jusqu'au champ de bataille. Fiammiferino, en me racontant son histoire, avait témoigné une telle frayeur de la guerre que je n'osais pas lui dire où nous allions. Il m'assaillait de questions : « Pourquoi tant voyager? » commença-t-il à me demander en chemin de fer pendant que je le tenais sur mon faux-col pour lui faire voir le paysage à travers les vitres de la portière. Il m'importait qu'il le vit bien parce que je désirais qu'il me dictât ensuite une description, ce qu'il fit en effet. Je répondis : « Nous voyageons pour notre agrément. — Bel agrément, gronda-t-il, que d'être porté par ce monstre qui crache de la fumée ! Il me semble être revenu dans cette grande maison où je fus mis en morceaux... Regarde là-bas, fit-il après quelques instants, quel beau pays!... Tu vois le toit du Temple au-dessus des arbres? Et quels beaux champs en fleurs!... Arrêtons-nous ici. — Je ne puis pas. — Mais si tu voyages pour ton agrément? —- Oui, mais nous allons nous divertir plus loin. » Fiammiferino fit un sifflement léger, léger : c'était sa façon de soupirer. Puis il descendit sur ma poitrine à la recherche de la « cataracte de soie », voulant se reposer dans un pli ; mais il ne trouva pas la cravate ; je portais une espèce d'uniforme gris semblable à ceux des soldats. « Pourquoi est-tu habillé ainsi? demanda-t-il d'un ton surpris, en me donnant un petit coup sur le menton. — C'est une mode de mon pays. » 11 siffla; et, descendant d'un bouton à l'autre, il arriva sur mes genoux. « Pourquoi portes-tu ces grandes bottes? dit-il, regardant en bas vers mes pieds, comme ferait un alpiniste s'avançant avec précaution au-dessus d'un abîme. — C'est une mode de mon pays. » FIAMMIFERINO