8 LES AVENTURES DE CHAPITRE IV Où l'on fait la connaissance d'une cigogne et où l'on parle d'une bataille. U: ■ n soir de mai, une belle soirée, arrive une cigogne, mon amie. Elle voyageait continuellement, et, quand elle passait sur la montagne Kamiyama, elle ne manquait jamais de se reposer sur mon troisième rameau vers l'orient. Elle s'appelait To, elle me portait une quantité de nouvelles des autres montagnes et des plaines sur lesquelles elle avait volé dans ses voyages. Ce soir-là, To, pendant qu'elle planait, les ailes immobiles, dans l'air, cherchant l'habituel rameau, commença de loin à s'écrier : « Mikara ! Il arrive des choses terribles. C'est par miracle que je suis vivante ! — Qu'arrive-t-il? » lui demandai-je. Elle se posa, se lissa les plumes du jabot avec son bec et, tout effrayée, elle me répondit : « Quelle peur! Je me suis trouvée au milieu d'un nuage de flèches qui sifflaient autour de moi. » Fiammiferino se tut un instant, rêveur. Anxieux de connaître la suite de son récit, je lui demandai avec empressement : « Et qui lançait les ilèches? — Bravo, me dit-il. C'est précisément la demande que je fis à To : a Qui lançait les flèches? /jS «—Qui? Les hommes», ré pondit To. ( | « La vallée est pleine de soldats qui combattent avec les arcs, avec les flèches, avec les lances et avec les épées. C'est la guerre! Ils se tuent, ils courent, ils hurlent, ils galopent à cheval, ils sont couverts de vêtements brillants. Un grand château brûle et tout autour la terre est couverte de morts. Entends! » ajouta To après s'être gratté la tète avec une de ses longues pattes, geste qu'elle faisait habituellement quand elle était très préoccupée. « Je te laisse. Ne sois pas fâché si je ne passe pas la nuit avec toi, mais je vais plus loin. Je n'ai pas la moindre peur, tu sais, tout au contraire ; mais il vaut mieux être prudente. Les lances et les épées ne m'épouvantent pas, mais les flèches... on ne sait jamais... Adieu, Mikara !» FIAMMIFERINO Et, réunissant ses pattes et ouvrant les ailes, elle s'élança dans l'air, juste comme une flèche, sans me laisser même le temps de la saluer. Elle disait qu'elle n'avait pas peur, mais en vérité elle tremblait. Ne croyez jamais au courage de celui qui se vante de ne pas y... avoir peur... — Et toi, tu n'avais pas peur? demandai-je à Fiammiferino. — Jete dis la vérité, je n'étais pas tranquille. L'incendie de ce château me préoccupait. Mon père m'avait dit souvent, quand il était encore un arbuste , que, pendant la guerre, les hommes brûlaient les bois pour déloger l'ennemi. Si la guerre venait de mon côté et si l'on brûlait les bois, quel malheur! Tu peux imaginer avec quelle anxiété j'attendais. Je passai la nuit à écouter. Quand soufflait un peu de vent, je tenais mes rameaux immobiles pour ne pas faire de bruit. A minuit le coucou se mit à chanter; comme c'était un bon voisin, je le priai de se tenir tranquille. « Je ne puis pas », me répondit le coucou, « j'ai le devoir de crier chaque nuit mille fois cou-cou. C'est mon travail. Mais, pour te faire plaisir, j'irai crier de l'autre côté de la montagne. » Il fit ainsi. La nuit passa tranquille. Vint l'aube. — Et alors ? — Ne m'interromps pas, je t'en prie. A l'aube, j'entendis d'abord çà et là des rumeurs. Je dressai mes feuilles pour mieux écouter et je distinguai le pas d'un animal en fuite. J'attendis pour voir ce que c'était et, après une demi-heure, voilà que débouche une famille de sangliers, le père, la mère et deux enfants. Je n'aimais pas les sangliers, animaux rustres et mal élevés, qui venaient souvent polir leurs défenses sur mon tronc en l'écorchant. Mais, en ce moment, j'oubliai toute rancune et j'essayai de les retenir en étendant une branche. Le sanglier père m'arracha quelques feuilles et passa sans même crier gare, et sa famille le suivit en grognant. Heureusement, peu après, survint un chevreuil. « Qu'est-ce que c'est? » lui murmurai-je. Il se tourna, s'arrêta, tendant l'oreille, tout haletant, et me répondit : « Ils arrivent! — Qui? — Les hommes armés ! » et il s'enfuit.